J.O. Numéro 289 du 14 Décembre 2000       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet

Texte paru au JORF/LD page 19836

Ce document peut également être consulté sur le site officiel Legifrance


Observations du Gouvernement sur les recours dirigés contre la loi d'orientation pour l'outre-mer


NOR : CSCL0004516X


La loi d'orientation pour l'outre-mer, adoptée le 15 novembre 2000 par l'Assemblée nationale, a été élaborée à la suite de plus de deux ans de travail au cours desquels le Gouvernement a mené une concertation très large. Après le rapport de Mme Eliane Mosse, en février 1999, sur les perspectives de développement économique dans les départements d'outre-mer et celui de M. Fragonard de juillet 1999, relatif à l'amélioration de la situation de l'emploi outre-mer, qui ont contribué à l'élaboration des propositions en matière économique et sociale, c'est le rapport de MM. Claude Lise, sénateur de la Martinique, et Michel Tamaya, député de la Réunion, remis au Premier ministre en septembre 1999, qui a inspiré au Gouvernement la plupart des dispositions qui concernent le volet institutionnel.
De fait, la loi poursuit un double objectif : d'une part, prendre les mesures requises pour créer de l'activité et de l'emploi, pour lutter contre le chômage et les exclusions et pour améliorer l'égalité sociale ; d'autre part, améliorer les moyens d'action des départements d'outre-mer et donner à ceux qui le souhaitent des perspectives d'évolution au sein de la République.
Ce texte a été déféré au Conseil constitutionnel par plus de soixante sénateurs et par plus de soixante députés qui en contestent les articles 1er, 42, 43 et 62. A l'appui de ces recours, leurs auteurs font valoir plusieurs moyens qui appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
I. - Sur l'article 1er
A. - Comme le font généralement les lois d'orientation, celle-ci commence par un article liminaire qui en présente les objectifs généraux et énonce un certain nombre de principes.
Il s'agit, en particulier, de la possibilité, pour les assemblées locales des départements, de proposer des évolutions statutaires qui leur seraient propres, et qui pourraient donner lieu à consultation des populations concernées.
Pour contester ces dispositions, les requérants font valoir qu'elles ne constituent pas un aménagement limité des compétences des collectivités concernées, mais aboutissent à opérer une différenciation excessive de celles-ci par rapport aux collectivités métropolitaines. Ce faisant, le législateur conférerait à ces départements et régions d'outre-mer une organisation particulière, en méconnaissance des articles 1er et 73 de la Constitution.
Les députés, auteurs du second recours, soutiennent que l'article 1er méconnaît la compétence du législateur, qui ne saurait être lié par les résultats de la consultation dont cet article énonce la possibilité.
Les saisissants mettent en outre en cause l'absence d'intelligibilité et de clarté de ces dispositions, qui seraient en contradiction avec celles de l'article 62 de la loi, quant à la possibilité de consulter pour avis les habitants des quatre départements d'outre-mer.
B. - Cette argumentation est inopérante.
Elle résulte en effet d'une interprétation inexacte de cet article qui se borne à annoncer, dès le début du texte, des dispositions que l'on retrouvera dans les sept titres de la loi.
Les deux premiers alinéas font ainsi clairement référence aux réponses que les titres Ier à III de la loi entendent apporter, sur un plan économique et social, aux difficultés structurelles des départements d'outre-mer.
Quant aux deux autres alinéas, ils annoncent le volet institutionnel contenu dans les autres titres du texte. Ils ne fixent, par eux-mêmes, aucune règle susceptible de faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité. En particulier, le dernier alinéa fait seulement référence aux dispositions de l'article 62, sur lequel les observations du Gouvernement seront présentées plus loin. Il n'exprime ni n'implique, contrairement à ce qui est soutenu, aucune injonction au Gouvernement. Il ne postule pas davantage que les propositions qui émaneraient des assemblées locales pourraient contraindre le législateur dans son pouvoir d'appréciation.
Il convient enfin de souligner qu'il n'existe aucune contradiction entre l'article 1er et l'article 62 : l'article 1er rappelle l'attachement des Réunionnais à ce que l'organisation institutionnelle de leur île continue à s'inscrire dans le droit commun tout en annonçant la possibilité, précisée à l'article 62, pour les départements qui le souhaitent, et notamment les départements français d'Amérique, de formuler en congrès des propositions d'évolution. Et si l'article 1er pose le principe de la consultation des populations concernées par une telle évolution, l'article 62 n'exclut une telle consultation dans aucun département d'outre-mer.

II. - Sur les articles 42 et 43
A. - Les articles 42 et 43 entendent favoriser la participation des élus de ces départements à l'action internationale de ceux-ci dans leur environnement régional.
L'article 42 précise, au nouvel article L. 3441-3 du code général des collectivités territoriales (CGCT), les conditions dans lesquelles les autorités de la République peuvent délivrer pouvoir au président du conseil général pour négocier et signer des accords avec un ou plusieurs Etats ou territoires situés dans l'environnement immédiat des départements d'outre-mer. Cette possibilité concerne également les organismes multilatéraux compétents dans ces zones, dépendant de l'ONU ou non. Le nouvel article L. 4433-4-2, inséré dans le même code par l'article 43, fait de même pour le président du conseil régional.
Selon les auteurs des recours, ces dispositions méconnaîtraient l'article 52 de la Constitution qui confie au Président de la République le soin de négocier et ratifier les traités et au Gouvernement la compétence pour approuver ou signer les accords en forme simplifiée. La possibilité ainsi ouverte aux présidents des deux assemblées locales serait également de nature à porter atteinte à la sauvegarde des intérêts nationaux, aux prérogatives constitutionnelles de l'Etat et aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale. Elle contredirait aussi la disposition de la loi du 6 février 1992 qui interdit aux collectivités territoriales de passer des conventions avec des Etats.
En outre, les sénateurs requérants soutiennent que les deux articles visés sont contraires aux articles 53 de la Constitution, en ce qu'ils ne réserveraient pas la compétence du législateur, et 53-1 réservant à la République la conclusion des accords déterminant les demandes d'asile.
Enfin les députés, auteurs du second recours, estiment que les dispositions des nouveaux articles L. 3441-4 et L. 4433-4-3 relatives à l'intervention du conseil général et du conseil régional méconnaissent l'article 52 de la Constitution.
B. - Cette argumentation repose sur une interprétation inexacte, tant des dispositions critiquées que de celles de la Constitution.
A titre liminaire, le Gouvernement entend rappeler que l'action internationale des collectivités territoriales de la République a été progressivement reconnue, en parfaite cohérence avec le principe de libre administration énoncé par l'article 72 de la Constitution.
Alors que l'article 65 de la loi du 2 mars 1982 autorisait simplement ces collectivités à entretenir des contacts avec des collectivités décentralisées étrangères, avec l'approbation du Gouvernement, cette conception limitée de la coopération décentralisée a été rénovée en profondeur par la loi d'orientation du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République. Il résulte de cette loi, dont les dispositions sont aujourd'hui reprises dans le code général des collectivités territoriales, que ces collectivités peuvent conclure des conventions avec d'autres collectivités locales, dans les limites de leurs compétences et du respect des engagements internationaux de la France. L'article L. 1112-5, issu de l'article 133-2 de la loi de 1992, précise cependant qu'aucune « convention, de quelque nature que ce soit, ne peut être passée entre une collectivité territoriale... et un Etat étranger ».
S'agissant des départements et régions d'outre-mer, les textes en vigueur prévoient tout au plus un mécanisme d'association purement consultatif : l'article L. 4433-4 dispose que les conseils régionaux des départements d'outre-mer « peuvent être saisis pour avis de tous projets d'accords concernant la coopération régionale en matière économique, sociale, technique, scientifique, culturelle, de sécurité civile ou d'environnement » avec leurs voisins ; de même, l'article L. 4433-15 dispose-t-il que les conseils régionaux des départements d'outre-mer sont saisis « pour avis de tout projet d'accord international portant sur l'exploration, l'exploitation, la conservation ou la gestion des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, dans la zone économique exclusive de la République au large des côtes de la région concernée ».
Ces dispositions revêtent une importance particulière dans les départements d'outre-mer. En effet, dans les relations qu'ils entretiennent avec leur proche environnement, les départements français d'Amérique, comme la Réunion, devraient pouvoir valoriser les avantages relatifs que leur procure leur niveau de développement, tant en matière économique que sociale et éducative. Pourtant, même si ces relations sont en constant développement, le bilan reste mitigé : pour ne prendre que l'exemple des échanges extérieurs des DOM, les Petites et Grandes Antilles ne représentent que 8,8 % des exportations de la Guadeloupe et 2,6 % pour la Martinique. Le Brésil et le Surinam ne représentent que 5,6 % des exportations de la Guyane ; les Etats de la Communauté de l'océan Indien attirent 8,7 % des exportations réunionnaises.
Cela s'explique notamment par le fait que les dispositions issues de la loi du 6 février 1992 ne sont clairement plus adaptées aux réalités des départements d'outre-mer. En effet, les territoires qui sont proches des départements d'outre-mer ne sont pas, pour la plupart, des collectivités territoriales composantes d'une collectivité étatique, avec lesquelles pourraient se nouer une coopération décentralisée en application des dispositions actuellement en vigueur. Il s'agit d'Etats, personnes de droit public international exerçant une souveraineté sur leur territoire.
Limiter les actions de coopération régionale aux relations entre collectivités locales revient, en pratique, à priver les départements français d'outre-mer d'interlocuteurs compétents sur les sujets d'intérêt commun, qui sont fort nombreux dans ces zones : tourisme, prévention des catastrophes naturelles, santé, culture... Ainsi, pour la Guadeloupe ou la Martinique, il serait plus efficace d'autoriser ces départements à coopérer avec les Etats qui leur sont proches, comme Sainte-Lucie ou la Dominique.
C'est dans cet esprit que le Gouvernement a proposé que la loi d'orientation pour l'outre-mer donne de nouvelles possibilités d'action aux collectivités territoriales des départements d'outre-mer, et notamment, s'agissant des conseils régionaux, la faculté de devenir membre associé d'un organisme international. Et c'est ce que font les articles 42 et 43, qui n'encourent aucune des critiques qui leur sont adressées.
1. En premier lieu, ces dispositions n'ont ni pour objet, ni pour effet de faire échec à l'application des articles 52 et 53 de la Constitution, auxquels seront naturellement soumis les accords ainsi conclus, sans que la loi ait eu à le rappeler. Ces accords seront passés au nom de l'Etat, dans le cadre des pouvoirs que les autorités nationales auront, le cas échéant, délivrés au président du conseil général ou à celui du conseil régional. Comme tout plénipotentiaire, ces derniers seront munis d'un mandat, d'instructions, et devront rendre compte.
Il convient à cet égard de souligner que les articles 42 et 43 n'impliquent pour l'Etat aucune obligation de désigner le président du conseil général et celui du conseil régional pour négocier et signer des accords en son nom. Dans l'hypothèse où il choisit de ne pas faire usage de cette faculté, le Gouvernement a d'ailleurs la possibilité d'associer au sein de la délégation française le président du conseil général ou du conseil régional, comme le précisent les articles L. 3441-3 et L. 4433-4-2.
En outre, si, au-delà de la simple négociation, les dispositions contestées autorisent le pouvoir exécutif à confier au président du conseil général ou au président du conseil régional le soin de signer des accords, il s'agit nécessairement de missions ad hoc, révocables à tout instant, et non d'une délégation permanente permettant à ces élus d'engager l'Etat sur des sujets de sa compétence.
Au demeurant, le Conseil constitutionnel a déjà admis la conformité à la Constitution de telles dispositions. Il résulte en effet de la décision no 96-373 DC du 9 avril 1996, rendue à propos de dispositions similaires incluses dans la loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française, que « le législateur a pu, sans porter atteinte ni à l'exercice de la souveraineté, ni aux prérogatives réservées à l'Etat par l'article 72, alinéa 3, de la Constitution, autoriser le président du gouvernement de la Polynésie française à négocier et signer des accords dans les domaines de compétence du territoire, dès lors que pour ce faire le président du gouvernement doit avoir expressément reçu des autorités de la République les pouvoirs appropriés et que ces accords demeurent soumis aux procédures prévues par les articles 52 et 53 de la Constitution ».
N'étant en rien fondée sur l'organisation particulière dont les territoires d'outre-mer bénéficient en vertu de l'article 74 de la Constitution, la solution ainsi dégagée est nécessairement transposable au cas, qui est celui des articles 42 et 43, où de tels pouvoirs sont attribués à des présidents de conseil régional ou général dans les DOM.
2. En deuxième lieu, c'est en vain que l'article 53-1 est invoqué par le recours des sénateurs : il résulte des termes mêmes de cet article qu'il ne concerne que certains accords que la République souhaite conclure avec les Etats européens, alors que la loi d'orientation s'applique exclusivement aux Etats ou organismes régionaux de l'aire géographique des départements d'outre-mer concernés.
3. En troisième lieu, le moyen tiré de l'article L. 1112-5 du code général des collectivités territoriales qui interdit aux collectivités territoriales de passer des conventions avec des Etats étrangers est, en tout état de cause, inopérant : en admettant même que cet article exprime un principe constitutionnel, les accords visés par les articles 42 et 43 de la loi déférée ne sont pas passés au nom de la région ou du département mais au nom de l'Etat, et ne relèvent donc pas de la coopération décentralisée dont l'article L. 1112-5 encadre l'exercice.
4. Enfin les nouveaux articles L. 3441-4 et L. 4433-4-3 n'encourent pas davantage les autres reproches que leur adresse le recours des députés.
Ces dispositions prévoient que les autorités de la République peuvent autoriser ces collectivités d'outre-mer à négocier, dans leurs domaine de compétence, des accords avec un ou plusieurs Etats, territoires ou organismes régionaux, dans le respect des engagements internationaux de la France. Cette possibilité est enserrée dans une procédure très stricte : la négociation par le président du conseil général ou du conseil régional est soumise à une autorisation préalable tout comme, le cas échant, la signature de l'accord. De plus, les autorités de la République sont, à leur demande, représentées à la négociation.
Quant à l'intervention du conseil général ou du conseil régional « pour acceptation » de l'accord, avant sa signature, elle est inhérente à la logique de ce mécanisme : s'agissant d'accords intéressant la compétence du département ou de la région, l'initiative sera en principe venue de l'un ou de l'autre. Il est donc cohérent de les inviter à faire connaître s'ils approuvent ou non le résultat de la négociation. Cependant, quelle que soit la position prise par l'organe délibérant de la collectivité, l'Etat demeurera libre de donner la suite qu'il jugera bonne au projet d'accord et de désigner qui il entend pour le signer.

III. - Sur l'article 62
A. - L'article 62 de la loi déférée insère, au sein de la cinquième partie du code général des collectivités territoriales, un livre IX intitulé « Mesures d'adaptations particulières aux départements et aux régions d'outre-mer ». Il permet en particulier de réunir, dans les régions d'outre-mer qui comprennent un seul département, un congrès des élus départementaux et régionaux composé des conseillers généraux et des conseillers régionaux.
Ce congrès peut être appelé à donner des avis sur toute proposition d'évolution institutionnelle ou relative à de nouveaux transferts de compétences de l'Etat vers les collectivités concernées. Il peut aussi débattre de modifications de la répartition des compétences entre ces collectivités locales.
Enfin, le nouvel article L. 5916-1, introduit dans le code général des collectivités territoriales par le même article 62, énonce la possibilité de consulter la population sur des évolutions institutionnelles, au vu notamment des propositions du congrès et des délibérations des conseils généraux et régionaux.
Pour critiquer ces dispositions, les requérants font valoir qu'elles méconnaissent les articles 72 et 73 de la Constitution. Ils estiment que l'institution d'un congrès est contraire à un principe d'égalité entre les départements d'outre-mer et porte atteinte, au-delà de ce que permet la notion d'adaptation, à l'unité du régime des départements. Ils font en outre valoir que ce congrès prend les traits d'une troisième assemblée délibérante permanente et non élue, en contradiction avec l'article 72 de la Constitution, lequel serait tout autant méconnu par la disposition prévoyant que les propositions du congrès sont obligatoirement discutées par le conseil général et le conseil régional.
Les sénateurs, auteurs du premier recours, considèrent également qu'une consultation de la population sur une évolution institutionnelle ne pourrait concerner que les seuls territoires d'outre-mer auxquels l'alinéa 2 du préambule de la Constitution reconnaît le droit à la libre détermination.
Enfin les députés, auteurs du second recours, estiment que l'article 62 comporte une injonction inconstitutionnelle au Gouvernement.
B. - Pour sa part, le Gouvernement considère que ces dispositions ne sont pas contraires à la Constitution.
C'est, en effet, en conformité avec la jurisprudence constitutionnelle relative à l'outre-mer qu'a été élaboré le dispositif défini par l'article 62.
A cet égard, le Gouvernement entend souligner que la mise en place d'un congrès est une simple mesure d'organisation qui n'est pas contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales ; qu'elle constitue une adaptation nécessaire au regard de la situation locale ; enfin, que la consultation des populations concernées par l'évolution statutaire, prévue au terme de cette procédure, n'est pas non plus contraire à la Constitution.
1. Sur le premier point, il convient d'abord de rappeler que le congrès des élus départementaux et régionaux n'est ni une nouvelle collectivité territoriale, ni une structure permanente qui serait composée d'élus spécialement désignés et pourrait exercer des compétences propres.
Le congrès n'est qu'une réunion des élus des deux assemblées, dont il constitue l'addition pure et simple. Les conseillers généraux et régionaux n'acquièrent pas une autre qualité en participant au congrès : pour cette raison, le nouvel article L. 5911-1 prévoit qu'une même personne qui serait membre des deux assemblées locales disposerait formellement de deux voix.
Cette articulation avec les deux assemblées locales se retrouve dans le chapitre V consacré au rôle du congrès : le congrès délibère « de toute proposition d'évolution institutionnelle, de toute proposition relative à de nouveaux transferts de compétences de l'Etat vers le département et la région concernés, ainsi que de toute modification de la répartition des compétences entre ces collectivités locales ». Le congrès est ainsi conçu comme le lieu de rencontre de deux légitimités. Il ne constitue en aucun cas une troisième assemblée qui viendrait exercer une sorte de tutelle sur les deux autres.
Le nouvel article L. 5912-1 du CGCT prévoit qu'il se réunit à la demande du conseil général ou du conseil régional, sur un ordre du jour déterminé à la majorité des suffrages exprimés par les membres de l'assemblée qui a demandé cette convocation. Il s'agit ainsi d'une faculté laissée à la libre appréciation des collectivités.
On voit donc mal comment la mise en oeuvre des dispositions de l'article 62 pourrait entraver la libre administration des départements et régions d'outre-mer concernés, d'autant que les deux assemblées locales conservent toute leur compétence pour délibérer des propositions qui auront été évoquées dans le congrès. Ces délibérations du conseil général et du conseil régional seront transmises au Gouvernement. Ceci est destiné à lui permettre de recueillir l'avis de chaque assemblée, prise séparément, qui pourra ainsi faire valoir, si elle le juge bon, des positions que le congrès n'aurait pas retenues. Aussi la disposition prévoyant que le conseil général et le conseil régional délibèrent des propositions adoptées par le congrès doit-elle être regardée, contrairement à ce qui est soutenu, comme protectrice de la liberté de chaque assemblée locale.
Quant au fait que la loi prévoit que le conseil général et le conseil régional délibèrent des propositions adoptées en congrès, on ne saurait - sauf à confondre les principes qui fondent la compétence du législateur et ceux qui en limitent l'exercice - soutenir qu'il porte une atteinte au principe de libre administration : il appartient bien au législateur de prendre de telles dispositions, dès lors qu'elles ne privent pas ce principe de toute portée (no 83-167 DC du 19 janvier 1984 ; no 92-316 DC du 20 janvier 1993).
2. En deuxième lieu, l'article 62 procède à une adaptation nécessaire au regard de la situation particulière de ces collectivités.
Il est certes bien établi que l'article 72 de la Constitution place les départements d'outre-mer parmi les collectivités territoriales de la République et que le principe d'identité - ou d'assimilation - législative s'y applique. Toutefois, l'article 73 de la Constitution ouvre la possibilité de mesures d'adaptation, s'agissant du « régime législatif » et de « l'organisation administrative », dès lors que ces mesures apparaissent « nécessitées par leur situation particulière ».
La mise en place d'un congrès des élus départementaux et régionaux répond à ces conditions.
A cet égard, il importe de rappeler le contexte dans lequel cette proposition a été élaborée. Dans les départements d'outre-mer, la coexistence sur le même territoire d'un département et d'une région constitue une difficulté entravant, par la multiplicité des interlocuteurs publics et par les imbrications de compétence, le développement économique et social de ces îles.
Le rapport, évoqué plus haut, de MM. Lise et Tamaya n'a pas proposé de mettre en oeuvre une révision constitutionnelle qui seule aurait permis, compte tenu de la jurisprudence, l'institution d'une assemblée unique. Le Gouvernement n'a pas non plus retenu cette option. Il a préféré mettre en place dans l'immédiat le mécanisme du congrès, conçu comme un dispositif qui permet de faciliter, en matière institutionnelle, les échanges entre les deux niveaux d'administration à l'oeuvre dans le même ressort territorial. C'est pour cette raison que l'article 62 concerne les « régions qui comprennent un seul département ». Dans une région de droit commun comprenant plus d'un département, le congrès n'est pas nécessaire.
MM. Lise et Tamaya, en formulant une proposition dont le Gouvernement s'est inspiré, et le Parlement, en votant l'article 62 de la loi d'orientation, ont souhaité donner aux initiatives qui avaient pu être prises localement un cadre législatif permettant de respecter les deux légitimités égales du conseil général et du conseil régional.
Limité, comme il a été souligné plus haut, à ce qui était nécessaire, au sens de l'article 73 de la Constitution, pour institutionnaliser le dialogue entre les collectivités concernées par d'éventuelles évolutions statutaires, le congrès n'est ainsi en rien comparable à l'assemblée unique dont la création a été censurée par la décision no 82-147 DC du 2 décembre 1982 dont se prévalent les requérants. Il demeure donc dans le cadre de l'article 73 de la Constitution.
S'agissant enfin du « principe d'égalité entre les départements d'outre-mer » dont se prévaut la saisine des sénateurs, et quelle que puisse être sa portée exacte, la loi adoptée n'y porte, en tout état de cause, aucune atteinte. C'est, comme il a été dit, pour tenir compte des difficultés résultant de la coexistence de deux collectivités territoriales et de deux organes délibérants sur une même aire géographique que ce mécanisme de dialogue institutionnalisé a été conçu. Et il résulte des termes mêmes du nouvel article L. 5911-1 qu'un congrès pourra être réuni dans chacun des départements d'outre-mer qui se trouve dans cette situation.
3. Enfin, la consultation des populations concernées par l'évolution statutaire, prévue par l'article 62 au terme de cette procédure, n'est pas non plus contraire à la Constitution.
a) D'une part, la loi d'orientation pour l'outre-mer ne contient pas d'injonction au Gouvernement, au sens que la jurisprudence donne à cette notion.
En effet, il est simplement prévu, en amont de l'éventuelle organisation d'une consultation, que le Premier ministre accuse réception des délibérations qu'il reçoit et qu'il fixe le délai dans lequel il apportera une réponse au fond. Il convient de remarquer que ces dispositions ne sont assorties d'aucune sanction.
Certes, dans la décision, déjà citée, du 9 mai 1991, le Conseil constitutionnel a censuré une disposition par laquelle le législateur avait imposé au Premier ministre d'apporter une réponse à une proposition de modification de la législation ou de la réglementation. Mais c'était, comme le souligne la décision, « dans un délai déterminé ». Or, en l'espèce, il faut relever que la loi ne prévoit rien de tel : c'est le Premier ministre lui-même qui fixe le délai dans lequel une réponse pourra être apportée.
Un tel mécanisme figure d'ailleurs à l'article L. 4433-3 du code général des collectivités territoriales, issu de la loi du 31 décembre 1982, concernant la transmission au Gouvernement des remarques et suggestions des conseils régionaux des régions d'outre-mer.
De plus, si, dans sa décision no 2000-428 DC du 4 mai 2000, le Conseil a également censuré une injonction, c'est au double motif qu'elle tendait à contraindre le Gouvernement à déposer un projet de loi dans un délai déterminé et qu'elle pouvait donner à penser qu'il était tenu de se conformer au contenu de l'accord soumis à consultation. Rien de tel en l'espèce, la disposition en cause ayant précisément pour objet de permettre au Gouvernement de prendre parti sur les propositions faites au niveau local, sans que celles-ci ne contraignent en aucune manière l'appréciation du pouvoir exécutif.
Enfin, l'article 62 ne procède pas davantage à une injonction inconstitutionnelle en se bornant à prévoir ensuite que le Gouvernement pourra déposer un projet de loi en vue d'organiser une telle consultation, « notamment au vu des propositions » faites par le congrès ou par les conseils généraux ou régionaux.
b) D'autre part, c'est à tort que le principe même de la consultation est contesté par la requête des sénateurs.
On observera d'abord que celle-ci ne pourrait intervenir que dans la mesure où une loi ultérieure - qui pourra, le cas échéant, être soumise à au contrôle de constitutionnalité - en déciderait l'organisation, au vu d'un projet déterminé d'évolution statutaire sur lequel le Parlement jugerait utile de recueillir le sentiment des populations concernées.
En tout état de cause, le Gouvernement entend souligner d'emblée qu'une telle consultation pour avis n'est pas contraire à la Constitution.
En effet, aucune disposition de la Constitution, non plus qu'aucun principe constitutionnel, n'interdisent l'organisation d'une telle consultation et on peut considérer que le législateur reste bien dans les limites de ses attributions en organisant, dans un cadre législatif clair, la faculté pour le Gouvernement de consulter, pour avis et avec cette seule portée, les habitants d'un département ou d'une région concernés par une évolution statutaire.
Il va de soi que ce type de consultation, dépourvue de tout effet juridique contraignant, ne saurait, pour cette raison, être rattaché ni à l'article 11 de la Constitution, qui ne concerne que les référendums nationaux tendant à l'adoption de projets de loi, ni à son article 89, qui n'a trait qu'aux révisions constitutionnelles, ni au troisième alinéa de l'article 53, qui ne peut jouer que lorsque est en cause l'appartenance d'une collectivité à la République.
Il est exact que devant le Conseil constitutionnel, saisi de la loi qui organisait une consultation à Mayotte, il était soutenu que celle-ci ne pouvait se réclamer d'aucun fondement constitutionnel. Sans prendre expressément parti sur la nécessité d'un tel fondement, la décision no 2000-428 DC du 4 mai 2000 a relevé qu'une base constitutionnelle pouvait, pour cette collectivité, qui faisait en 1958 partie du territoire d'outre-mer des Comores, être trouvée dans le deuxième alinéa du Préambule de la Constitution de 1958 qui s'applique aux TOM.
Mais, contrairement à ce que suggère l'argumentation des sénateurs saisissants, aucun a contrario ne saurait être tiré de la décision du 4 mai 2000. Et à supposer qu'il faille, ici aussi, trouver un fondement constitutionnel à l'organisation d'une consultation pour avis comme celle que prévoit l'article 62 de la loi déférée, le Gouvernement considère qu'elle réside en tout état de cause, s'agissant au moins des départements et régions d'outre-mer, dans le préambule de la Constitution de 1946, auquel renvoie celui de 1958.
En effet, le seizième alinéa du Préambule de 1946 énonce que « la France forme avec les peuples d'outre-mer une Union fondée sur l'égalité des droits et des devoirs... ». Le dix-huitième alinéa ajoute que, « fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a pris la charge à la liberté de s'administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires ». S'il est vrai que l'article 60 de cette Constitution prévoyait que les départements d'outre-mer, tout comme d'ailleurs les territoires d'outre-mer, étaient parties intégrantes de la République, à la différence des territoires membres de l'Union, il est non moins clair que le Préambule, qui a toujours valeur constitutionnelle, entend inclure les DOM dans les « peuples d'outre-mer » dont la France a « pris la charge » et auxquels est reconnu le droit de s'administrer eux-mêmes.
C'est ce que traduisait également de l'article 66 de cette Constitution, relatif à l'Assemblée de l'Union française, composée, d'une part, de représentants de la métropole et, d'autre part, de représentants des départements d'outre-mer, des territoires d'outre-mer et des Etats associés. Comme l'a relevé le professeur F. Luchaire (in Le statut constitutionnel de la France d'outre-mer, éd. Economica, 1992, p. 22) « Les départements d'outre-mer sont donc, d'après cette disposition, plus près des territoires d'outre-mer que de la métropole ».
Cette relative assimilation des deux régimes se traduisait d'ailleurs par la possibilité, expressément reconnue par l'article 75 de cette Constitution, qu'un DOM devienne un TOM ou inversement, possibilité que l'actuelle Constitution ne semble pas exclure.
C'est sans doute en fonction de telles considérations que la décision, déjà citée, du 9 mai 1991 souligne que la Constitution « distingue le peuple français des peuples d'outre-mer auxquels est reconnu le droit à la libre détermination ».
De même peut-on relever que le Conseil constitutionnel a, dans sa décision précitée du 4 mai 2000, par un raisonnement a fortiori mis en parallèle le Préambule et l'article 53, alinéa 3, de la Constitution. Or, il est permis de penser que ce dernier texte pourrait, le cas échéant, s'appliquer aux « populations intéressées » des départements d'outre-mer. Au demeurant, dans la décision no 75-59 DC du 30 décembre 1975 à propos de Mayotte, le Conseil a pris soin de spécifier que le terme « territoire », dans l'article 53, ne doit pas être compris comme visant nécessairement un territoire d'outre-mer, au sens de l'article 74. Il convient enfin de souligner que la décision précitée du 4 mai 2000 a jugé que les autorités compétentes de la République étaient habilitées à consulter les « populations d'outre-mer intéressées ».
Ainsi l'article 62 de la loi d'orientation traduit-il le souci politique, exprimé dès l'article 1er, de tenir compte, avant d'envisager une réforme institutionnelle de ces collectivités, d'un consensus qui pourrait se dégager localement sur ses orientations fondamentales, les autorités de la République gardant leur pleine compétence, tant pour juger de l'opportunité des réformes que pour en déterminer le contenu.
*
* *
Pour l'ensemble de ces motifs, le Gouvernement estime que le Conseil constitutionnel ne pourra que déclarer conformes à la Constitution les dispositions dont il est saisi.